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Comment rendre aux peuples les oeuvres d'art premier que le colonialisme a accumulé dans ses musées ?


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Les motivations d'une promesse peuvent être très honorables,
le passage à la réalisation risque fort de provoquer d'énormes problèmes,
si elle n'est pas coordonnée par de vraies compétences.

Quelques réflexions sur la restitution des patrimoines culturels africains
volés du temps des colonisateurs français ?


A Ouagadougou le 28 novembre 2017 dernier, le président Macron s’est engagé à restituer aux pays africains anciennement colonisés par la France tous les patrimoines culturels volés, confisqués, saisis par les colonisateurs et conservés aujourd’hui dans les musées. Cette promesse est honorable à tous points de vue mais se heurte immédiatement à beaucoup de problèmes de divers ordres :

  1. Certains pays africains ne se sentent pas concernés ou n’ont jamais réclamé le retour de ces patrimoines, qui relèvent de traditions souvent abandonnées d’une Afrique tournée sur des valeurs et des actes relevant aujourd’hui d’une mondialisation non maîtrisée que nous déplorons.

  2. D’autres pays africains, au contraire, revendiquent cette restitution au nom de leurs histoires et de leurs cultures mais aussi de développements potentiels qu’elle pourrait aider à mettre en œuvre (tourisme, échanges, solidarités africaines...)

  3. Dans un tel contexte, la France doit gérer la situation en priorité sur le plan de la diplomatie mais aussi en associant les scientifiques, les intellectuels, les professionnels des musées, les responsables politiques des pays concernés, sans s’immiscer dans ce qui regarde avant tout les africains.

  4. Beaucoup de ces patrimoines conservés dans nos musées n’ont été ni volés ni confisqués mais ont fait l’objet d’échanges bilatéraux, notamment commerciaux, scientifiques et culturels.

  5. Le musée belge de Tervuren, consacré à l’Afrique Centrale mais surtout au Zaïre (ex Congo Belge), a rendu dans les années 1980 au gouvernement de ce pays, 500 objets cérémoniels de plusieurs ethnies zaïroises. Ils se sont pratiquement tous trouvés sur le marché international des arts dits « primitifs » dans les semaines qui ont suivi.

  6. Beaucoup de musées européens et américains ont restitué dans les années 2000, à la demande du gouvernement de Nouvelle-Zélande, des crânes d’ancêtres relevant de l’histoire des clans maoris avant celle de l’histoire officielle du pays. Il en a résulté un conflit interne au pays colonisé par les Anglais principalement aux XVIIIème et XIXème siècle.

  7. Seuls quelques pays africains (Sénégal, Bénin, Togo, Burkina-Faso...) ont actuellement des projets de musées nationaux, lesquels pourraient accueillir les patrimoines restitués, à condition que les ethnies géographiquement éloignées de ces musées nationaux n’en demandent pas elles-mêmes la restitution matérielle.

  8. La question primordiale est la suivante : à qui rendre ces collections d’objets ? Aux gouvernements qui en font la demande ? Aux pays qui ont des projets de musées officiellement soutenus, sur le plan de l’éthique et de la conservation, par l’UNESCO et l’ICOM (Conseil International des Musées) ? A des ONG ou des fondations africaines ?

  9. Si la France restitue les patrimoines culturels volés, pillés, confisqués au temps des colonies, elle rendra des objets qui ne lui appartiennent pas et ne lui ont jamais appartenu : comment peut-on imaginer alors, ne serait-ce qu’un instant, moralement et logiquement de prêter, même à long terme, de tels objets à ceux qui en sont depuis toujours juridiquement les propriétaires ?

  10. L’argument de l’inaliénabilité de ces patrimoines conservés dans les musées français n’a aucune valeur : il suffit de déclasser les collections que l’on veut restituer, opération législative facile à mettre en œuvre.

  11. Il est important de rappeler que, outre les musées nationaux français, beaucoup des patrimoines en question sont la propriété de musées relevant de collectivités locales : sont-elles toutes prêtes à se séparer d’une partie de leurs collections ethnographiques et/ou d’arts premiers ?

  12. La restitution doit également être compatible avec le cadre administratif, diplomatique, juridique, éthique, scientifique et technique de l’ICOM.

  13. La promesse de Macron va être considérée comme s’appliquant également aux pays anciennement colonisés d’Asie, d’Océanie et de l’Amérique : que pourra-t-il répondre à ces pays s’ils font la même demande de restitutions ?


vanuatu

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Déclaration de "Planetmuseum". (Juillet 2012)


Les anciens pays colonisateurs ont non seulement spolié les richesses humaines et matérielles des pays qu'ils ont colonisés depuis le XVIème siècle (mines, grandes forêts, faune, flore, etc...), mais aussi leurs richesses culturelles, spirituelles, religieuses. Ils ont provoqué la disparition de civilisations entières au nom de leurs seules valeurs d'occidentaux, et gravement mis en danger de nombreuses cultures qui survivent encore aujourd'hui sans espoir d'avenir dans la nouvelle vision du monde proposée par les grandes puissances.

Ce pillage des patrimoines de multiples civilisations, que ce soit en Afrique, en Asie, en Océanie, aux Amériques, s’est poursuivi pendant des siècles : c'est ainsi que la quasi totalité des témoins culturels de ces peuples, des millions d'objets dont ceux dits en France "d'arts premiers", se sont retrouvés dans des musées occidentaux et, plus précisément, pour plus de 95% d'entre eux, dans leurs réserves, donc non exposés au public.

Cette situation est, aujourd'hui plus que jamais, indéfendable.

Les musées occidentaux ont rempli leur devoir de préservation de ces témoignages, mais de nombreux musées ne peuvent être créés dans les ex-colonies faute de collections, alors que les gouvernements de ces pays, indépendants depuis les années 60, ont officiellement fait, depuis longtemps, des demandes de restitutions restées sans réponses, sauf quelques rares exceptions.

Il est donc temps pour nous de restituer, au moins en partie, ces patrimoines culturels illégalement acquis et conservés à l’abri de tout regard.

Il n’existe en effet aucun argument définitif, qu’il soit juridique, scientifique, administratif, technique ou autre à opposer à cette restitution. C’est effectivement un problème complexe, auquel nous devons nous attaquer pour de multiples raisons, qu’elles soient d’ordre philosophique ou culturel, dans le cadre de nos rapports avec les autres peuples et cultures du monde : la France serait bienvenue à prendre ce leadership.

Les démarches entreprises ces dernières décennies étant restées lettre morte, sauf pour ce qui concerne les vestiges humains, nous demandons au gouvernement français d'envisager, en liaison avec les représentants des peuples concernés et des institutions internationales, les modalités particulières d'une restitution définitive d'un certain nombre de ces collections gardées en réserves dans les musées.

Alain G. NICOLAS
Docteur en archéologie - Chevalier de la Légion d’Honneur - Ancien conservateur en chef des Musées de France - Officier de l’ordre du Mérite National

Signataires de cette déclaration (2010) :

  • Dr Ech-cherki Dahmali, Secrétaire Général, Conseil International des Musées (Maroc)
  • Dr Boureima Diamitani, Directeur Général, West African Museums Project (Dakar, Sénégal)
  • Prof Georgina DeCarli, Directrice, Institut Latino-Américain des Musées, (San Jose, Costa-Rica)
  • Dr Anne Marie Bouttiaux, Conservatrice en chef, Musée Royal de l'Afrique Centrale, (Bruxelles)
  • Prof Laurent Dousset, Directeur d'Etudes à l'EHESS (Marseille, France)
  • Dr Faustina Rehuher, Présidente, Association Internationale des Musées du Pacifique, (Palau)

Page écrite le 05-06-2018

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