Pour comprendre notre monde.
Si un immigré pouvait parler...
Je suis né sur cette terre comme vous tous, et comme vous je cherche à y vivre le mieux possible.
Il est des pays de misère ou réussir est un rêve totalement inaccessible. Pourtant réussir ne signifie qu’une chose simple : Travailler et manger normalement !
Il est des pays ou même les poubelles peuvent nourrir une famille entière, où celui qui trouve du travail est protégé contre les maladies, les accidents du travail, même les locaux sont contrôlés et souvent chauffés, contrôlables par des inspecteurs du travail.
Ici pas de bus pour aller travailler, pas de sécurités sur les chantiers, pas de médecins pour nos maladies, la paie même ne nourrit pas, et si tu suggères le moindre signe d’amélioration tu es aussitôt licencié sans préavis ni indemnité, et prend même le risque de te faire tabasser. Dois-je accepter de crever sur place ?
Alors j’ai eu le courage de quitter ma famille mon peuple, mon pays, j’ai affronté les longues marches, traversé des déserts, rusé avec les truands et les douaniers, joué ma vie sur les frontières face au gardes armés, toutes les économies données aux passeurs, construit un bateau de bric et de broc, affrontés les océans, me défendre dans des langues inconnues, beaucoup de mes collègues sont morts ou disparus sans que jamais personne ne sache comment, ni même ne s’en inquiète. Et je ne parle pas des femmes qui ont du subir plus encore…
Et me voilà dans un pays que je ne connais pas, je me réfugie auprès de lointains compatriotes, qui parfois me soutiennent mais souvent m’exploitent. Toujours ruser, planquer, se sauver face aux autorités, qui veulent me chasser.
Suis-je un « immigré » comme ils disent, ceux qui à ma place auraient eu envie de faire la même chose mais n’auraient peut-être même pas eu le courage ni la force ?
Je veux travailler et consommer, précisément ces valeurs qu’ils encensent, je suis de ma culture, de ma couleur, est-ce une faute ? Ils m’interdisent de travailler car je n’ai pas de papier, mais ils ne veulent pas m’en donner. Ce sont eux qui ont décidé de me laisser sans papier ! Moi, j’en veux bien des papiers.
Le statut de « sans papier » et « d’immigré » je ne l’ai pas choisi, c’est leurs lois et leur façon d’organiser l’économie qui me l’ont donné. Ils voudraient que je m’intègre, que je suive leurs lois et leurs coutumes, et ces lois m’interdisent d’habiter de travailler, oh c’est quoi ces coutumes, quand ils venaient chez nous, ils ne suivaient pas nos lois eux
J’ai choisi d’être le plus malin, le plus courageux, le plus persévérant, et je le prouve j’ai réussi et me voilà dans le pays que je me suis choisi. Je suis un homme libre !
Alors ils disent que nous sommes asociaux, que nous rejetons leur pays, que nous remplissons leurs prisons, ils nous voudraient tous sages, obéissants, dociles, respectueux de leurs lois. Vous croyez cela facile quand ce sont leurs lois qui nous refusent. D’ailleurs avec leurs propres lois ils savent très bien tricher quand cela les arrange, si j’écoute les nouvelles des frasques leurs responsables politiques. J’ai déjà eu tant de peine à m’apprendre leur langue !
Eux-mêmes étaient il n’y pas si longtemps immigrés dans notre propre pays, eux aussi sont venus avec leur culture, eux aussi ont refusé de s’intégrer à la notre, oui c’est vrai, eux sont venus armés ! Oui ils ont construit des ponts, des usines, des écoles des hôpitaux, nous aussi nous construisons leurs ponts, leurs routes, leurs bâtiments ! Eux aussi ont renvoyé leurs bénéfices vers leurs pays, comme nous nous reversons une partie de nos salaires vers nos familles. Et le plus drôle de plus en plus de retraités viennent chez nous dépenser leur retraite !
Ils disent que nous avons gâché notre pays, ses richesses, mais ce sont eux qui vendent le matériel et les techniques policières à ce pouvoir ancien qui nous interdit tout espoir de révolte ? Alors ne vous étonnez pas de voir dans nos bagages les relents de cette révolte impossible.
Finalement nous sommes tous des hommes cherchant, bon gré mal gré, notre meilleure voie dans un monde profondément dominé par l’injustice, utilisant les faiblesses des systèmes pour tenter de renforcer notre propre qualité de Vie. Les premières générations sont refusées, mais les suivantes sont maires, députés, ministres, président même ! Alors un peu de patience, vous verrez la vie saura nous intégrer beaucoup mieux que vos grands principes, la dure vie que vous nous imposez saura nous rendre plus fort, et parfois encore plus défenseur que vous-même des valeurs que vous préconisez, tolérance, laïcité, initiative, travail.
Ils disent « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde » oui c’est vrai, mais mon pays ne peut pas non plus supporter toute la misère que ce monde lui impose.
Ils disent « ils sont mal éduqués » ils n’ont qu’à travailler, reconstruire leur pays, ce n’est pas notre responsabilité. Mais eux même qui les a éduqués ? Leurs parents ! Où sont-ils les parents bien éduqués qui auraient pu me transmettre cette éducation miracle ? Et qui leur a donné du travail ? Une société bien organisée ! Où est-elle cette société bien organisée qui aurait pu me donner du travail ? Les hommes sont terriblement seuls face à des structures sociales trop complexes pour qu’ils puissent même envisager de les modifier. Alors ce ne sont pas les hommes qu’il faut critiquer et punir mais ces structures, la faute n’est pas dans l’individu mais dans les règles qu’ils se donnent et qui les piègent.
En attendant il n’y a pas de problème d’« Immigré », ce n’est qu’une étiquette, ou de « sans papier » ce ne sont que des lois, la réalité ce sont des hommes qui se démerdent comme ils peuvent dans un monde qui se cherche des boucs émissaires, au lieu de réfléchir et faire face aux problèmes qu’il se fabrique lui-même.
Ce texte peut déplaire, mais je veux faire comprendre qu’il existe deux niveaux dans cette question d’immigration:
Un niveau individuel, humain, où aucune des étiquettes utilisées «sans-papier», «immigré», n’a le moindre sens, ce ne sont que des réglementations sans justification administrative, il n’existe pas d’inculpation possible car il n’existe pas de faute, pas de culpabilité au départ pour ces raisons. Ils ne sont pas hors de la morale mais seulement hors d’une loi qui est immorale. La culpabilité n’apparaitra que lorsqu’il y a une infraction aux autres lois que celles de l’immigration telle que le vol, et encore comment juger quand il s’agit d’un vol nécessité pour la seule survie. Sans défendre le voleur, il reste qu’il est possible de le comprendre, quand l’autre alternative serait de mourir de faim.
Un niveau sociologique, ou le nombre statistique constate un problème, un volume d’immigration qui déstabilise des sociétés.
C’est comme en démographie, il n’est pas possible de reprocher à une femme d’avoir envie de faire un enfant, pourtant il devient possible de reprocher à une structure sociétale et à ses traditions de favoriser l’idée de faire des enfants.
Pour l’immigration aussi, je considère qu’il n’existe pas de faute individuelle, mais qu’il existe une faute collective, ce sont nos logiques économiques traditionnelles, et nos logiques politiques qui sont fautives, pas les personnes ballotées dans ces logiques.
Alors il n’existe pas de réponse individuelle pour régler cette question. Si la réponse existe elle est à chercher dans les structures politiques et économiques, pas dans ces honteuses chasses aux sans–papiers, alors réfléchissons sur les causes de ces mouvements de populations, et sur les comportements permettant de les accueillir, et oublions ces non-sens que sont les termes «sans-papier» ou «immigrés» appliqués à des individus que notre constitution affirme «libre» et « égaux ».
La libre circulation des hommes et des idées ne supporte pas l’exclusion sous le terme «immigré» ni l’interdit sous le terme «sans papiers».
Aujourd’hui c’est «la libre circulation des armes et des banquiers», et eux ne sont pourtant jamais poursuivis, jamais étiquettés «sans papier» ou «immigrés» pourtant leurs pratiques font beaucoup plus de dégâts.
Intervenant Ju_frde - le 25-07-2023 à 09-19
Bonjour,
Qui est l'auteur du dessin ?